[dropcap]C[/dropcap]e matin, tu te réveilles avec l’impression de peser une tonne. Tu as déjà oublié les cauchemars qui ont peuplé ta nuit. Il te reste cependant un arrière-goût désagréable, des lambeaux d’angoisses, une lassitude et une fatigue comme si tu venais de sortir d’une longue lutte. Ta gorge est sèche, tes lèvres et ta bouche sont pâteuses et tu sens ta mauvaise haleine alors que tu expires ton souffle rauque. Tu vas dans la salle de bain pour boire un peu au robinet. Là, tu croises le regard d’un être détesté. Cet être te regarde droit dans les yeux. Il n’est pas effrayant. C’est un visage vieux et affaissé. Il est boursouflé par endroits. Ses sourcils broussailleux et sa barbe blanche et grise sont les seuls ornements pileux de ce faciès. En guise de petit déjeuner, tu vas chercher une bouteille de whisky dans le buffet. La bouteille est presque vide. Là, avachi, seul dans la demi-obscurité, tu réfléchis une nouvelle fois à la vie. Qu’adviendra t-il de toi, de ton essence quand tu seras mort ? Quand les fonctions vitales de ce corps épuisé t’auront lâché ? L’alcool semble libérer ton esprit. Tu es conscient de toi mais tu n’es pas conscient pour les autres. Seuls tes sens te permettent de réaliser leur présence. Le sens logique qui t’a été inculqué te dit qu’ils sont comme toi. Tu retournes le concept dans ta tête et reprends une longue rasade. Tu te rends compte que si tu fais abstraction de cette fameuse logique qui t’a été inculquée, ce sens artificiel qui ne vaut pas mieux qu’un raisonnement sophiste, tu peux remettre en question tout ce qui t’entoure. Tu comprends que la société et tes tuteurs ont normalisé la normalité pour toi. Tu te souviens d’avoir poursuivi le raisonnement assez loin ensuite. Mais à un moment, une douleur fulgurante s’est mise à irradier de ton torse. Tu as crié de douleur et peut être qu’un voisin ou le facteur t’a entendu. Tu es à demi conscient mais tu perçois la sensation trop familière d’être sur un lit d’hôpital. Des personnes s’activent frénétiquement, mesurant des facteurs vitaux. Tu distingues deux personnes en blouse blanche dans un coin de la pièce, qui discutent, l’air préoccupées. Quelques bribes te parviennent. Mais toi, tu t’en fiches car tu sombres à nouveau dans le sommeil. À nouveau, tu te réveilles et tu distingues quelqu’un penché au-dessus de toi avec un défibrillateur. Puis ta vision se trouble, définitivement… Tu retombes dans le sommeil, mais cette fois, cela semble différent. * Tu ne sais pas combien de temps s’est écoulé mais tu marches à nouveau et tu vois à nouveau, bien que différemment. La sensation est étrange. Des choses dans l’air te disent ce que tu dois faire. Tu dois marcher et aller chercher un objet qui te paraît bien. Tu avances sans te poser de questions superflues. Devant toi se dresse un morceau de matière molle. Tu te rapproches et tu le goûtes. Ça paraît bon. Tu décides de le rapporter en bas, pour les tiens. Le sol se met brusquement à trembler et tu es soulevé dans le ciel. Ton corps se disloque sous une pression insoutenable. L’air se met à trembler, vibrer. La longueur d’onde est bien trop grande mais si tu pouvais percevoir les sons, tu entendrais : Encore ces saloperies de fourmis ! Dire que les hindous pensent qu’on se réincarne en ces machins ! |
Boris Darnaudet est un auteur de SF, Fantasy et Fantastique. Il a publié son premier roman de science-fiction, Projet Obis, à 22 ans, chez Rivière Blanche sous la direction littéraire de Philippe Ward. Il a co-écrit avec François D., Zeppelin en danger, un polar pour ados édité par Georges Foveau aux éditions Rouge Safran. Boris a également fait partie du quatuor de romanciers qui ont rédigé La Saga de Xavi, rééditée en poche chez Mnémos/Hélios sous le titre : Le Glaive de Justice. Ses nouvelles de science-fiction et fantasy sont souvent chargées d’une puissance noire et pessimiste qui caractérise sa vision de l’existence. Le 30 août 2015, à 14 heures, après une dépression de sept ans, Boris a mis fin à ses souffrances, quelques mois après ses 25 ans. Il a écrit un millier de pages en une poignée d’années. Les lecteurs férus des littératures de l’imaginaire vont maintenant les découvrir au fur et à mesure de leurs publications intégrales.